Prajna, Discernement
Vouloir le bien des autres est quelque chose qui est très actif chez moi depuis longtemps, bien avant ma rencontre avec le bouddhisme; je me suis rendue compte qu’on est heureux à aller vers l’autre, échanger une parole, un sourire, apporter une aide. C’est pour cela que le bouddhisme a fait écho en moi, c’était le point d’accroche, une justesse au fond de mon coeur, j’ai immédiatement souhaité devenir un Bodhisattva. Agrandir les choses, étendre cette compassion à tous les êtres, de tous les mondes, sans distinctions c’est ce que je souhaite le plus profondément. Le bouddhisme nous offre un chemin, des méthodes, un mode relatif et ultime, c’est tellement incroyablement riche et motivant ! Mais le discernement ? Comment faire ? Comment faire pour ne serait-ce qu’en avoir une idée, pour le développer ?
Le discernement se cultive tout d’abord en regard des affaires du monde, puis en regard de la nature véritable de l’esprit.
Tout d’abord on apprend à être dans ce monde sans confusion et voir chaque chose dans sa nature et à sa place. Cette forme de discernement est associée à la bienveillance, qui a pour objet la souffrance des êtres sensibles (les afflictions mentales).
Puis on considère l’impermanence et l’interdépendance des phénomènes. Par cela, on vient à comprendre, puis réaliser la nature illusoire de la manifestation. Cette forme de discernement est associé à la bienveillance, qui a pour objet la cause de la souffrance des êtres sensibles (l’ignorance). Le principe de Prajna (discernement) se développe en trois phases : L’écoute, la réflexion et la méditation.
Grâce au discernement (prajna) qui découle de l’écoute des enseignements, nous devenons capable de reconnaître les émotions perturbatrices.
Ensuite, grâce au discernement issu de la réflexion, nous devenons capable de surmonter temporairement les émotions perturbatrices.
Et finalement, grâce au discernement qui émane de la méditation, nous vainquons complètement l’ennemi des émotions négatives et obtenons la confiance nécessaire pour connaître la réalité inexprimable et inconcevable avec la sagesse d’une conscience discriminante.
Chökyi Drakpa
A ce propos Chögyam Trungpa Rinpoché explique :
L’un des principes les plus importants et les plus puissants, est le principe de discernement (prajna). Le discernement est un état d’esprit dans lequel nous avons une clarté totale, une certitude absolue. Une telle expérience est très rare, mais en même temps très précise et pénétrante. Cela ne peut se produire que dans notre état d’esprit, disons, une fois sur cent. La nature du discernement commence par la confusion. C’est comme si nous entrions dans une école pour étudier une certaine discipline avec des gens très sages, érudits. La première conscience consciente que nous aurions aurait un sens de notre propre ignorance, de la façon dont nous nous sentons extraordinairement stupides, maladroits et muets. En même temps, nous commençons à avoir vent de la connaissance; sinon, nous n’aurions aucun point de référence pour nous faire l’expérience d’être idiot.
Le premier aperçu du discernement est comme ça. Il y a un sentiment de confusion, de stupidité et de chaos total, en ce sens que vous ne pouvez pas organiser votre esprit ni votre intelligence de manière systématique. Vous êtes partout et vous sentez que votre existence est un tas d’excuses. Dès que vous entrez dans un cercle aussi savant de grands professeurs d’art, de sciences ou autre, vos pas résonnent de plus en plus fort et votre ombre devient de plus en plus épaisse, comme si vous aviez un corps gigantesque. Vous vous sentez si maladroit entrant dans un tel cercle. Vous commencez à sentir votre propre transpiration et vous vous sentez grand, maladroit et gênant. Tout votre être, en essayant de communiquer avec de tels enseignants, est une tentative gigantesque de vous excuser pour votre existence. Curieusement, c’est le vent du discernement. Connaître sa propre stupidité, c’est le premier aperçu du discernement.
Le point intéressant, cependant, est que nous ne pouvons pas toujours être stupides. Notre stupidité n’est pas très bien fortifiée. Il y a certaines lacunes dans lesquelles nous oublions que nous sommes stupides, complètement égarés. Ces aperçus, ces lacunes où nous avons de la place, c’est le discernement. Ceci est très bien démontré dans la tradition zen de la discipline monastique. Dans les périodes d’entraînement, du matin au soir, chaque activité est planifiée et enseignée. Le matin, vous vous occupez de la pratique en position assise, au moment des repas, vous avez affaire à comment manger de la nourriture, comment déplier vos serviettes. Ensuite, il y a des pratiques de marche et il y a aussi une période d’étude, de cuisine et de nettoyage.
Quel que soit le devoir qui vous est assigné, ils représentent tous un défi et une moquerie. Ils se moquent de vous, vous faisant vous sentir complètement ennuyé et extraordinairement inadéquat. Plus vous devenez associé à des érudits, plus vous devenez conscient de vous-même. C’est une discipline extraordinaire, une plaisanterie extraordinaire, mais ce n’est pas une ruse. On vous joue une telle blague que vous découvrez que l’environnement autour de vous, où vous pratiquez, n’a de place pour rien d’autre. De temps en temps, vous vous laissez aller à votre confusion. C’est la seule pause que vous avez: vous laissez aller à votre confusion et à votre désarroi. Curieusement, une telle discipline fonctionne et le discernement grandit progressivement.