Dans l’état actuel, d’une manière générale, nous vivons une situation de confusion où le corps, le souffle et l’esprit sont dispersés. Nous sommes emportés par nos pensées qui vont, viennent et repartent sans cesse entre le passé et le futur, sous l’effet d’émotions dont nous ne sommes pas conscients la plupart du temps.
D’où l’utilité de se recentrer périodiquement en posant notre esprit sur le souffle, afin de détendre le corps et l’esprit jusqu’à ce que ce dernier devienne clair, à la fois lucide et bienveillant. Nous expérimentons ainsi un état qui nous rapproche de notre nature profonde qui est à la fois intelligence et bienveillance. Il n’y a rien à créer ni à développer. C’est plutôt l’inverse, un processus de décantation, comme le verre d’eau boueuse au travers duquel on ne voit rien parce qu’on l’agite continuellement. Il suffit de poser le verre pour que la boue se dépose au fond et que l’eau devienne limpide.
Pour faire cela, il faut d’abord en avoir envie ou en éprouver le besoin. Cela est à la fois simple et en même temps complexe car chacun de nous est différent. Les indiens et les tibétains parlent de 84 000 enseignements, ce qui veut dire un nombre infini, Il y a des fondamentaux, mais chaque enseignement doit être adapté à un individu donné et à un moment donné.
De ce fait, l’enseignement du Bouddha doit être expérimenté par chacun d’une manière personnalisée. Des outils sont mis à notre disposition, d’une part pour voir clair en nous et d’autre part pour lâcher tout ce qui nous empêche d’être en contact avec notre nature profonde. Castorama constitue l’analogie humoristique idéale. On n’y va pas pour que quelqu’un fasse le travail à notre place. De même, le bouddhisme nous propose des outils et des conseils d’utilisation que l’on va mettre en œuvre par nous-mêmes sur nous-mêmes. Ces outils ne sont pas limités à une religion ou à une culture donnée. Ils sont universels et peuvent être employés dans une démarche laïque et même athée.
La méditation
Ne nous laissons pas enfermer dans le mot « méditation » qui a une connotation occidentale assez éloignée de l’origine orientale qui est évoquée ici. En tibétain, le mot qui a été traduit par méditation veut dire en fait littéralement « s’habituer ». On s’habitue à mieux voir et connaître nos tendances, nos réactions par rapport aux autres et aux situations que l’on rencontre et, au-delà à approcher notre nature profonde. D’une manière générale, dans la vie courante, on reste dans la couche superficielle de notre esprit et c’est un travail de fond qui nous permet, pas à pas, de prendre conscience et de mieux maîtriser ce qui se passe plus profondément en nous-mêmes.
Nombreuses sont les techniques qui permettent à notre esprit de se poser, donc de se calmer. Après s’être installé confortablement, le dos droit et le corps détendu, les mains sur les genoux ou la main droite sur la main gauche, les paumes tournées vers le haut « dans le giron », on va prendre conscience de notre respiration : un inspir, un expir et, à chaque expir on va compter mentalement. Ainsi, on va compter jusqu’à cinq en étant bien attentif à cette respiration, en la suivant, sans chercher à l’accélérer ou à la ralentir. Ensuite, après cette période d’attention, on va se détendre, comme à la récréation et on va compter à nouveau jusqu’à cinq respirations, en laissant les pensées venir et, tant pis si on oublie une respiration, on en compte cinq. Puis à nouveau, notre conscience est centrée uniquement sur cinq respirations, et ainsi de suite, on alterne les phases de concentration et de détente.
Une autre technique consiste à visualiser un point lumineux qui suit notre respiration. A l’inspir on est conscient que ce point lumineux descend, en nous-même jusqu’en dessous du nombril, à l’expir il est expulsé avec le souffle et décrit une ligne dans l’espace devant nous. Et ainsi de suite.
Quelle que soit la technique, avec la pratique régulière, l’esprit va se détendre et l’on va voir les pensées qui s’élèvent, les unes après les autres, puis qui s’évanouissent comme elles sont venues, sans que l’on soit capté par elles. Il n’y a rien à faire, simplement être là. C’est tout simple, mais dans notre fonctionnement habituel, nous sommes emportés continuellement par des trains de pensées et le même phénomène va se produire : « Mince, j’ai oublié le pain ! Est-ce que la boulangerie est encore ouverte ? Comment vais-je faire ? etc.. …». Nous avons oublié le point d’ancrage de la respiration. Ce n’est pas grave, sans culpabiliser on y revient et on recommence. Il est bon de faire cet exercice régulièrement entre 15, 20, voire 25 minutes après c’est du bonus…
L’action
Il est très important de ne pas confondre l’esprit au repos et l’action. Dans le premier cas, on observe et l’on ne juge pas. Il n’y a pas de mauvaises pensées que l’on rejette avec horreur, ni de bonnes pensées auxquelles on s’attache. Il n’y a que des mouvements de l’esprit que l’on voit apparaître, puis se dissoudre. Dans l’action, au contraire, il est important d’avoir tout son discernement entre ce qui est positif et négatif. Le critère de choix dans cette alternative consiste à se poser la question : « est-ce que mes pensées, mes paroles et mes actes sont portés par l’intelligence et la bienveillance qui seront bénéfiques aux autres et à moi-même, ou est-ce que je recherche uniquement mon intérêt, voire à nuire aux autres ? » Ce critère n’est pas toujours facile à appliquer et c’est là où la pratique d’observation des mouvements de l’esprit devient particulièrement utile, car on sait tous que derrière les meilleures intentions peuvent se cacher des motivations, souvent inconscientes, qui sont beaucoup moins claires.
Notre esprit étant sans cesse en mouvement, les situations les plus banales de notre vie quotidienne nous fournissent continuellement des occasions de mettre en pratique les enseignements du Bouddha ou des maîtres qui lui ont succédé. Lors d’une promenade dans Lyon j’ai vu un monsieur qui promenait son chien avec une laisse extensible assez longue. Une personne qui arrivait sur le trottoir avec son skate-board a failli se prendre les pieds dans la laisse et tomber. Première réaction agressive de l’un, réponse agressive de l’autre, puis échange d’arguments contradictoires. L’incident en restera là, mais chacun repart de son côté, à la fois mécontent et sûr de son bon droit.
La règle des trois tiers.
Ceci est l’occasion de voir « la règle des trois tiers ». Lorsqu’il y a un conflit ou un malentendu entre deux personnes : premier tiers, la personne A fait une projection négative sur les intentions et le comportement de la personne B ; deuxième tiers, la personne B procède de même vis-à-vis de A ; troisième tiers, il y a très souvent un quiproquo au départ. Dans ce contexte, on ne peut qu’être dans la confusion et les pensées, voire les paroles ou les actes négatifs.
Soi vers soi, soi vers les autres
Pour éviter de se trouver dans cette situation, il est important de se rappeler la règle des trois tiers, mais surtout de mettre en application le « soi vers soi et soi vers les autres ». De quoi s’agit-il ? Tout simplement, lorsque je sens monter une réaction vis-à-vis de l’autre, je prends immédiatement conscience que c’est ma réaction. Entre : « l’autre est un crétin » et « je pense que l’autre est un crétin », il y a une nuance qui nous permet de prendre du recul, de voir notre motivation et, éventuellement de faire une vérification. Ceci peut également s’appliquer, lorsque, plein de bonnes intentions, on veut « faire le bonheur de l’autre ».
La production de compost .
Même si nous avons un comportement parfaitement normal et avisé dans la société, avec notre travail, nos loisirs, nos amis, la famille, promener notre chien, etc. Il n’en reste pas moins que nous sommes plongés en permanence dans cette confusion où nous ne voyons pas clair en nous, parce que nous restons à la surface des choses, conditionnés par nos émotions, des tendances fondamentales qui nous échappent et nos habitudes sociales. De ce fait, nous produisons sans arrêt des « déchets » : énervements, agacements, colère, inquiétudes injustifiées, peurs irraisonnées, jalousie, impatiences, envies de toutes sortes, etc. Nous sommes complètement enfouis sans le savoir sous ces déchets. Ce qui aggrave encore notre confusion et renforce des tendances qui étaient déjà négatives au départ.
Lorsque parfois, nous sommes conscients de cela, le réflexe fréquent est d’enfoncer ces herbes folles et leurs graines dans la terre pour ne plus les voir. Ce qui ne fait que repousser, voir amplifier le problème. Il faut donc appliquer la technique du « compost ». Comme chacun le sait, il ne s’agit pas de rejeter les déchets mais de les recycler pour faire du bon terreau qui va nous permettre d’avoir de belles fleurs ou de bons légumes, semer des carottes dans de bonnes conditions par exemple.
En quoi consiste cette métaphore dans le domaine des pensées ? D’abord, il faut être conscient de ce qui se passe : « je suis agacé par untel ou par telle situation » ensuite, il faut se rappeler que cet agacement n’est qu’une pensée qui s’élève dans l’esprit et il faut la laisser se dissoudre toute seule sans s’y attacher et sans forcer. Si cet agacement est très fort ou récurrent pour des raisons déjà anciennes, ce n’est pas une pensée qui va s’élever, mais tout un torrent de pensées qui va nous emporter sans que nous puissions maîtriser la situation. Ce n’est pas grave, on a déjà été conscient de la situation. C’est un premier pas et, il faut avancer pas à pas. C’est un entraînement à voir le plus tôt possible ce qui se passe. Au prochain agacement, si nous le détectons dès la première pensée, il sera beaucoup plus facile de la laisser se dissoudre, la « lâcher ». Et, surprise, quand on lâche vraiment, un sentiment d’espace et de plénitude va s’installer à la place de l’agacement. C’est un bref contact avec notre nature profonde, intelligente et bienveillante. Le déchet a été transformé en compost fertile. Mais il faut savoir qu’il y a tellement de travail au départ, que l’on aura le sentiment que cela n’est jamais fini. Il faut recommencer, encore et encore avec courage et persévérance.
La vigilance.
Une autre qualité doit être mise en application, c’est la vigilance. Elle nous sert à détecter les « déchets » dès leur apparition, mais elle est également très précieuse pour avoir une « présence consciente » dans l’instant. En effet, notre esprit est sans cesse emporté, comme nous l’avons vu, par nos projets ou nos craintes dans le futur ou par le ressassement du passé. Aujourd’hui, il y a de magnifiques cerisiers en fleurs, ils vont passer très vite, soyons conscients, ici et maintenant, de la beauté de la nature ou du sourire d’un passant à qui on sourit et qui va spontanément échanger quelques mots avec nous. La plupart du temps, plongés dans nos pensées, nous ne goûtons pas la saveur unique de l’instant présent.
Sans espoirs fantasmés ni craintes inutiles
Les mouvements continuels de l’esprit entre le passé et le futur ont également pour conséquence de nous faire osciller sans cesse entre les espoirs fantasmés et les craintes inutiles. Lâchez ces espoirs et ces craintes et l’esprit va s’installer dans un espace de calme et de lucidité qui va nous rendre beaucoup plus efficaces dans nos tâches professionnelles et notre conduite personnelle.
La vigilance, et donc la capacité à contrôler spontanément, avec intelligence et bienveillance, les situations qui se présentent, sera grandement et plus rapidement améliorée grâce aux périodes que nous consacrons à centrer le corps, le souffle et l’esprit. Mais ceci n’est pas naturel pour tout le monde, surtout au début. D’où l’exemple de l’amie, très ancrée dans l’action, qui va faire un stage intensif d’une semaine en Auvergne et qui, dès le troisième jour, avoue avoir passé son temps à repeindre et décorer son appartement…
Le don et la prise en charge
Cette pratique consiste à poser son attention sur le souffle : à l’inspir on prend en charge la souffrance et à l’expir on laisse se diffuser les remèdes à la souffrance. Tout ceci doit avoir un caractère universel. Si l’on est touché par la situation d’une personne que l’on connaît parce qu’elle est en deuil, malade, abandonnée, etc. en inspirant on va penser à la douleur de cette personne, mais aussi de toutes celles que l’on ne connaît pas et qui sont dans une souffrance comparable. En expirant, on va penser que la santé, l’intelligence et la bienveillance fondamentales se diffusent pour dissoudre les souffrances que l’on a prises en charge à l’inspir. Ce n’est donc pas « moi je » qui opère, mais notre nature profonde qui a un caractère universel et dont je ne suis pas le propriétaire, mais seulement le gérant.
La dédicace
Consacrons les dernières minutes de notre pratique à une réversion des graines d’éveil avec le support du souffle:
A l’inspir on recueille tout ce qui a été positif, de notre part, de la part de tous ceux qui sont là et même de ceux qui ne sont pas présents et que l’on ne connaît pas.
A l’expir, on offre tout cela porté par notre nature profonde, sur un plan universel , au-delà de la dualité entre celui qui donne et de celui qui reçoit.
En guise de conclusion, voici le poème de Rimbaud, comme pour souligner, au-delà des religions et des cultures, de l’Orient et de l’Occident, le caractère absolument universel des notions de calme mental et de nature profonde de notre être, qui émergent lorsqu’on laisse le silence s’installer en nous.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.