Marcher sur des Kleshas Ardents

In Dharma Teachings, Français, Tsony by TsonyLeave a Comment


J’aimerai partager avec vous quelques réflexions sur la marche méditative et notamment sur le lien que l’on peut faire entre l’exercice de la marche et la gestion des cinq poisons (kleshas)dans l’esprit . Comment les transmuter en leurs «pendants éveillés» que sont les cinq sagesses ?

Le premier des cinq kleshas est l’opacité mentale ou l’absence de discernement. On peut le comparer à un vaste espace embrumé. L’espace et ses qualités ne sont pas reconnus. Marcher, c’est-à-dire se mouvoir dans l’espace, permet sa réappropriation. On prend la mesure de l’espace. On prend conscience de notre position dans l’espace et de sa richesse en tant que porteur de toutes les possibilités : marcher, s’asseoir, être debout, assis… Il y a une réappropriation, une découverte de l’espace, de ces qualités et de sa propre position dans celui-ci.

Le poison suivant résulte de la peur qui nait de l’ignorance. C’est la colère ou l’irritabilité. Tout nous énerve. Comme quelqu’un qui dans une forêt a peur de toutes les feuilles qui bougent, du reflet de la lune, des bruits inconnus. Dans la marche méditative on prend le pas, le souffle et la posture comme points d’ancrage. A chaque fois que s’élèvent des stimulations sources d’irritabilité, on revient au pas, au souffle, à la marche, à la posture. On voit alors qu’il ne s’agit que de fantômes, de stimulations nés de l’esprit. On comprend leur nature illusoire comme ce que l’on voit dans un miroir: Une image, un reflet sans réalité propre. On peut alors se défaire de ce vieux réflexe qui consiste à entrer dans le jeu des stimulations. C’est ce qui nous rend nerveux ou irritables.

Cela devient évident quand on marche avec attention. Comme on observe son esprit, on voit qu’il est constamment gêné ou irrité par quelque chose: «ce n’est pas comme je voudrais», «ce n’est pas exactement comme cela devrait être» …. La marche vigilante nous fait du bien !

Il y a ensuite le besoin névrotique de se singulariser. Comme on ne sait pas clairement qui l’on est, il faut donner le change comme le crapaud qui a peur et qui se gonfle ! On doit prendre de la place. Il y a une urgence a répondre à l’incertitude par l’arrogance. A se projeter dans le monde comme étant plus grand et plus puissant. La marche méditative révèle cela. On revient alors sur le pas, le souffle, la posture. On revient vers une simplicité qui amène l’humilité. Nous sommes tous des marcheurs, nous marchons du même pas. Nous avançons et nous n’avons pas particulièrement besoin de nous singulariser. Il n’y a pas de danger. Le rappel de la méditation, par le retour au pas, libère toutes les sources d’irritabilité. Le besoin de se démarquer par peur, s’évanouit.

A l’inverse on se fond parfois dans la masse anonyme. On ignore la «biodiversité». Quand bien même il y a une égalité essentielle entre tous les marcheurs, il y a aussi des particularismes. Il y a des hommes, des femmes, des différences d’âge, de corpulence, de taille pour ce qui est de la forme, mais également au niveau de l’esprit des différences dans la façon de vivre l’expérience etc… Nous sommes tous très différents. Il est important de revenir vers notre intérieur pour découvrir nos qualités spécifiques. Sinon nous serons contraints d’aller vers l’extérieur pêcher des témoignages d’appréciation qui nous accordent une confirmation de notre existence. De cette projection constante vers l’extérieur nait l’avidité inextinguible. Le désir de la confirmation de son existence par la possession des objets extérieurs miroirs fait s’élever une soif constante que rien ne pourra apaiser. En marchant on apprécie ce que l’on est: «Je suis un marcheur, debout, libre. En cet instant, ce pas, j’ai toutes les richesses, toutes les possibilités. Je peux réfléchir, je peux respirer.». Par la réappropriation de l’espace et l’appréciation de l’équanimité de tous, notre spécificité apparaît clairement sans plus le besoin de se singulariser de façon névrotique, ni devenir de l’orgueil. Ainsi, le désir avide cède « le pas » à une reconnaissance des qualités.

Le dernier klesha est la jalousie, la compétition. Comme on a vu précédemment si l’on ne se connait pas précisément on ressent le besoin de se singulariser. Apparaît alors la nécessité d’assurer sa position, d’être avant les autres. Le besoin d‘être mieux que le «concurrent», de se classer par rapport aux autres afin d’avoir une image valorisée de soi. Pendant la marche méditative on est un simple marcheur, parmi les marcheurs. On redécouvre sa respiration, son souffle, son pas, ses qualités. On réalise que les spécificités de chacun ne peuvent pas être comparées. Il n’y a donc pas de classement possible. Il y a une équanimité essentielle et une complémentarité entre nous tous qui rend la compétition obsolète. Nous formons un cercle. «Ah! Aujourd’hui, je suis le quatrième dans le rang!». Quelle est la quatrième perle du rosaire ? Dans un cercle, il n’y a ni première ni quatrième perle ! Toutes ont une valeur égale et en même temps, si vous regardez, chacune d’elles a des couleurs et des formes différentes. Je suis toujours derrière quelqu’un et devant quelqu’un. Même si je suis au début, je suis derrière le dernier ! Nous avons une place mais pas le besoin d’être devant. Pas le besoin non plus d’être plus rapide ou plus lent. Toutes ces considérations qui forment la synergie des cinq klesha, peuvent se libérer dans la marche en revenant au pas, au souffle, à la posture, en acceptant sa place. Ce n’est pas de la démission que d’accepter d’être là où on se trouve.

Ce que je viens de dire pour la marche vaut également pour la méditation. Nous sommes assis en cercle avec les mêmes coussins, avec plus ou moins de couvertures, mais il y a une vraie unité : nous sommes tous fondamentalement dotés de la nature d’éveil.

 

Transcript: Bernadette Baijard. Merci !


 

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